Sous les Grands arbres
Sous les grands arbres.
Patrice Deparpe
Je vous ai montré, n’est-ce-pas, ces dessins que je fais, ces temps-ci, pour apprendre à représenter un arbre, les arbres ? Comme si je n’avais jamais vu, dessiné d’arbres. J’en vois un de ma fenêtre. Il faut que patiemment je comprenne comment se fait la masse de l’arbre, puis l’arbre lui-même, le tronc, les branches, les feuilles. D’abord les branches qui se disposent symétriquement, sur un seul plan. Puis comment les branches tournent, passent devant un tronc… Ne vous y trompez pas : je ne veux pas dire que, voyant l’arbre de ma fenêtre, je travaille pour le copier. L’arbre, c’est aussi tout un ensemble d’effets qu’il fait sur moi. Il n’est pas question de dessiner un arbre que je vois. J’ai devant moi un objet qui exerce sur mon esprit une action, pas seulement comme un arbre, mais aussi par rapport à toutes sortes d’autres sentiments… Je ne me débarrasserais pas de mon émotion en copiant l’arbre avec exactitude, ou en dessinant les feuilles une à une dans le langage courant… Mais après m’être identifié à lui. Il me faut créer un objet qui ressemble à l’arbre. Le signe de l’arbre. Et pas le signe de l’arbre tel qu’il a existé chez d’autres artistes…par exemple, chez ces peintres qui avaient appris à faire le feuillage en dessinant 33, 33, 33, comme vous fait compter le médecin qui ausculte…Ce n’est que le déchet de l’expression des autres…Les autres ont inventé leur signe…Le reprendre, c’est reprendre une chose morte : le point d’arrivée de leur émotion à eux, et le déchet de l’expression des autres ne peut être en rapport avec mon sentiment original. Tenez : Claude Lorrain, Poussin, ont des façons à eux de dessiner les feuilles d’un arbre, ils ont eux inventé leur façon d’exprimer les feuilles. Si habilement qu’on dit qu’ils ont dessiné leurs arbres feuille à feuille. Simple manière de parler : en réalité, ils ont peut-être représenté cinquante feuilles pour deux mille. Mais la façon de placer le signe feuille multiplie les feuilles dans l’esprit du spectateur, qui en voit deux mille…Ils avaient leur langage personnel. C’est depuis devenu un langage appris, il me faut trouver des signes en rapport avec la qualité de mon invention. Ce seront des signes plastiques nouveaux qui rentreront à leur tour dans le langage commun, si ce que je dis par rapport à leur moyen a une importance par rapport à autrui. L’importance d’un artiste se mesure à la quantité de nouveaux signes qu’il aura introduit dans le langage plastique.
Ces propos de Matisse sur le dessin de l’arbre, rapportés par Louis Aragon, me semblent parfaitement introduire le travaille de Vincent Barré présenté lors de l’exposition » Sous les grands arbres » au musée départemental Matisse du Cateau-Cambrésis.
Sous les Grands arbres
Sous les grands arbres.
Patrice Deparpe
Je vous ai montré, n’est-ce-pas, ces dessins que je fais, ces temps-ci, pour apprendre à représenter un arbre, les arbres ? Comme si je n’avais jamais vu, dessiné d’arbres. J’en vois un de ma fenêtre. Il faut que patiemment je comprenne comment se fait la masse de l’arbre, puis l’arbre lui-même, le tronc, les branches, les feuilles. D’abord les branches qui se disposent symétriquement, sur un seul plan. Puis comment les branches tournent, passent devant un tronc… Ne vous y trompez pas : je ne veux pas dire que, voyant l’arbre de ma fenêtre, je travaille pour le copier. L’arbre, c’est aussi tout un ensemble d’effets qu’il fait sur moi. Il n’est pas question de dessiner un arbre que je vois. J’ai devant moi un objet qui exerce sur mon esprit une action, pas seulement comme un arbre, mais aussi par rapport à toutes sortes d’autres sentiments… Je ne me débarrasserais pas de mon émotion en copiant l’arbre avec exactitude, ou en dessinant les feuilles une à une dans le langage courant… Mais après m’être identifié à lui. Il me faut créer un objet qui ressemble à l’arbre. Le signe de l’arbre. Et pas le signe de l’arbre tel qu’il a existé chez d’autres artistes…par exemple, chez ces peintres qui avaient appris à faire le feuillage en dessinant 33, 33, 33, comme vous fait compter le médecin qui ausculte…Ce n’est que le déchet de l’expression des autres…Les autres ont inventé leur signe…Le reprendre, c’est reprendre une chose morte : le point d’arrivée de leur émotion à eux, et le déchet de l’expression des autres ne peut être en rapport avec mon sentiment original. Tenez : Claude Lorrain, Poussin, ont des façons à eux de dessiner les feuilles d’un arbre, ils ont eux inventé leur façon d’exprimer les feuilles. Si habilement qu’on dit qu’ils ont dessiné leurs arbres feuille à feuille. Simple manière de parler : en réalité, ils ont peut-être représenté cinquante feuilles pour deux mille. Mais la façon de placer le signe feuille multiplie les feuilles dans l’esprit du spectateur, qui en voit deux mille…Ils avaient leur langage personnel. C’est depuis devenu un langage appris, il me faut trouver des signes en rapport avec la qualité de mon invention. Ce seront des signes plastiques nouveaux qui rentreront à leur tour dans le langage commun, si ce que je dis par rapport à leur moyen a une importance par rapport à autrui. L’importance d’un artiste se mesure à la quantité de nouveaux signes qu’il aura introduit dans le langage plastique.
Ces propos de Matisse sur le dessin de l’arbre, rapportés par Louis Aragon, me semblent parfaitement introduire le travaille de Vincent Barré présenté lors de l’exposition » Sous les grands arbres » au musée départemental Matisse du Cateau-Cambrésis.